Finance verte : les banques africaines se mettent en ordre de marche
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Finance verte : les banques africaines se mettent en ordre de marche

Le changement climatique est à la fois un risque et une opportunité pour les établissements bancaires. Les acteurs africains du secteur en ont de plus en plus conscience et adaptent, lentement mais sûrement, leurs méthodes de travail et leurs gammes de produits. Une enquête de la Banque européenne d’investissement fait le point.

C’est un marché de plusieurs dizaines de milliards de dollars qui s’ouvre pour les banques africaines : celui de la transition énergétique du continent. Selon le FMI, pour la seule Afrique sub-saharienne, les besoins de financement pour adapter les économies aux effets du changement climatique sont compris entre 30 et 50 milliards de dollars chaque année. Et pour que ces financements arrivent jusqu’aux acteurs – particuliers et entreprises – qui en ont besoin, les établissements bancaires ont un rôle majeur à jouer. Or les volumes de financements verts des banques du continent sont encore très limités. Un rapport de la Banque européenne d’investissement (BEI) publié en novembre évalue que ces montants ne dépassent pas 0,5 % du total des financements bancaires à destination du secteur privé même dans un pays aussi développé que l’Afrique du Sud (lire encadré). En moyenne, sur le continent, cette part est donc vraisemblablement plus faible encore.

La menace des « actifs échoués »

Pour avoir une meilleure appréciation du niveau de développement des stratégies vertes des acteurs, la BEI, via le réseau MFW4A (Making Finance Work for Africa), a interrogé 78 établissements d’Afrique subsaharienne sur leurs pratiques (l’enquête en Afrique du Nord a été perturbée par la pandémie). Leurs réponses confirment que les encours verts sont encore minoritaires. Une banque sur dix seulement consacre plus de 10 % de son portefeuille total au secteur des énergies renouvelables par exemple ; elles sont le double à le faire pour le secteur des énergies fossiles. Une position, certes historique, qui n’est pas sans risque : ces expositions à des activités fortement menacées par la transition énergétique, qualifiées d’« actifs échoués » (ou « stranded assets »), peuvent être à l’origine d’importantes pertes à venir sur les portefeuilles de prêts des établissements et menacent leur rentabilité.

A la fois risque et opportunité, la transition énergétique est un sujet que les banques africaines regardent donc avec de plus en plus d’intérêt. « La dynamique de la responsabilité sociale et environnementale est forte dans les établissements bancaires africains et l’histoire s’accélère, témoigne Dhafer Saidane, professeur et directeur du MSc Sustainable Finance & Fintech à Skema Business School, par ailleurs conseiller du club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique et administrateur indépendant de STB Bank en Tunisie. Après une période de communication sans traduction concrète majeure, les acteurs sont pour la plupart entrés dans une phase de sensibilisation avancée et travaillent à l’intégration de la RSE dans leur stratégie. Certains en sont même à l’étape de mise en œuvre, avec l’intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur offre et dans leur reporting. »

Des spécificités africaines

Et ces efforts portent plus particulièrement sur la dimension climat de l’ESG. Selon l’enquête de la BEI, 54 % des banques interrogées affirment mettre en œuvre des pratiques en matière de finance verte. Il peut s’agir d’intégrer le climat dans une stratégie ESG existante ou de formaliser une stratégie autonome. 27 % des banques interrogées déclarent par exemple intégrer les risques climatiques dans la tarification de leurs prêts. Des produits de financement spécifiquement verts, comme des crédits hypothécaires pour des habitations basse consommation ou des financements ciblant l’amélioration de l’efficacité énergétique, commencent en outre à faire leur apparition : 17 % des banques interrogées en ont lancé. Parfois, ces efforts recoupent d’autres stratégies plus anciennes. « La finance verte résonne bien avec la finance islamique, qui s’est développée dans plusieurs pays du continent, souligne Dhafer Saidane. Le respect de la nature est inscrit dans le Coran et les considérations environnementales font partie intégrante des principes de la finance islamique. »

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L’enjeu de la montée en compétences

De fait, les établissements bancaires s’équipent pour cette transition. Selon l’enquête de la BEI, la moitié des banques interrogées a d’ores et déjà embauché du personnel spécialisé dans les risques climatiques et 15 % envisagent de le faire à l’avenir. Reste à savoir si elles trouveront les bons profils. Des formations sont proposées par plusieurs institutions internationales, à l’image des Nations Unies via son programme PNUE-FI (Programme des Nations Unies pour l’environnement avec le secteur financier), pour développer les connaissances localement. Mais cela pourrait ne pas suffire. « La fuite des compétences, du fait de niveaux de salaire trop peu motivants, est l’un des principaux risques qui pourraient freiner le développement de la finance durable sur le continent », nuance Dhafer Saidane qui prévoit d’ouvrir d’autres occurrences de son MSc « Sustainable finance & fintech » à l’international, dont en Afrique. Un afflux de capitaux spécifiquement fléchés vers le thème du climat, à la fois publics (fonds vert pour le climat, facilités nationales contre le changement climatique…) et privés (investissements en green bonds), pourrait être un catalyseur des stratégies vertes des établissements bancaires africains et une motivation de plus pour leur octroyer davantage de moyens financiers.

Des approches du risque climatique plus ou moins poussées

Source: EIB Africa Banking Survey 2021.

L’Afrique du Sud multiplie les initiatives

Deuxième économie du continent et son plus gros émetteurs de CO2, l’Afrique du Sud s’est engagée à réduire ses émissions de 42 % d’ici 2025. Elle peut pour cela s’appuyer sur son système financier et notamment ses banques. Nedbank, par exemple, a été, en 2012, le premier émetteur africain sur le marché des obligations vertes : à l’époque, plus de 500 millions de dollars ont été fléchés vers des prêts stimulant l’emploi dans les secteur de l’économie verte. Ses émissions ont ensuite continué, avec parfois l’aide d’institutions internationales : fin 2021, l’IFC (Banque Mondiale) s’est par exemple positionné comme investisseur de référence de son green bond dédié au verdissement du parc résidentiel national.

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Changement climatique : quel rôle pour la microfinance ?

La transition verte de l’Afrique sera principalement financée via les banques commerciales. Mais ces dernières peinent encore à accéder à l’ensemble de la population : beaucoup de particuliers, souvent des micro-entrepreneurs ou des petits agriculteurs, sont souvent non bancarisés. L’implication des institutions de microfinance sera donc essentielle. « Les communautés à bas revenus sont celles qui sont touchées le plus durement par les catastrophes climatiques et les impacts environnementaux du changement climatique », a rappelé sur le blog du CGAP début 2022 Sophie Sirtaine, la nouvelle directrice générale de ce think tank spécialisé sur les sujets d’inclusion financière.

Plusieurs produits sont testés sur les marchés émergents, et notamment africains. Des microcrédits sont par exemple octroyés à des femmes pour l’achat d’un four de cuisson plus efficace énergétiquement que leur traditionnel four à bois ou pour des systèmes d’éclairage fonctionnant à l’énergie solaire. Pour les petits agriculteurs, des dispositifs peuvent permettre de sécuriser leur revenu même en cas de sinistre climatique, via par exemple des systèmes d’assurance paramétrique des récoltes accessibles y compris aux plus petites exploitations. Pour eux, des prêts peuvent aussi être octroyés pour les aider à adapter leur ferme au changement climatique.

Mais ces démarches sont encore à l’état embryonnaire et ont besoin d’être renforcées. « Les efforts entrepris à travers le monde pour verdir le système financier pourraient venir en aide aux plus pauvres en donnant un élan aux solutions de financement vert. Mais ces efforts peuvent également les exclure si, par exemple, ils se focalisent avant tout sur les projets de grande ampleur », a ainsi mis en garde Sophie Sirtaine dans son article du 17 janvier. La transition verte de la microfinance ne fait que commencer.

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